L’espoir est un luxe bourgeois, comme je dis souvent. Le rêve, lui, tient animé tout un chacun sans tenir compte des revenus. Le songe est l’ennemi juré du calculateur. Qui, lui, a de l’espoir à revendre. À prix d’or.
Et là, alors que je venais d’écrire les trucs juste au dessus, Dan débarque à la maison. Des années qu’on ne l’avait plus vu. Exit ma petite séance d’écritoire. Le billet attendra, un point c’est tout. Cas de force majeure. Je grommelle un peu tout de même, intérieurement. Pour écrire un billet, il faut que je sois dans un état presque second. Dans le rêve en quelque sorte. Et comme ce billet parle des rêves et des autres choses bizarres qui nous passent par la tête par moments, avec Dan qui déboule à l’improviste c’est foutu. Dan, il est de Bruxelles et ses beaux parents avaient acheté une antique bicoque à deux pas de la nôtre il y a une vingtaine d’années. On en avait fait un paquet, des banquets animés chez eux autrefois, car Dan est un fameux boute-en-train. Avec la marmaille du quartier, des voisins et compagnie. Et puis un jour on ne les avait plus vus. Et appris la mort du beau-père, puis l’Alzheimer grave de son épouse. La maison est abandonnée depuis une bonne douzaine d’années et comme il y a des fuites un peu partout, Dan est revenu pour faire quelques travaux. Là, à l’instant (18 Septembre, 10 heures du matin), Dan vient de sonner à la porte pour me taxer un double mètre. Alors donc hier après-midi, on a papoté un long moment et il nous a donné tout plein de nouvelles de son clan et nous, pareil en échange. Et là, je vois son petit orteil droit tout bleu, dépasser de sa sandale. Je le lui pointe du doigt et Dan nous raconte comment ça lui est arrivé. La magie ça existe pour de vrai, je dois dire, parce que tout ça c’est à cause du rêve que Dan avait fait la veille. Comme par hasard. Pendant son sommeil il avait vu deux types tenter d’agresser sa femme, alors il n’avait fait ni une ni deux et s’imaginant en Superman justicier, leur avait volé dans les plumes et balancé un gros coup de pied au cul. Et là, il s’était réveillé en hurlant de douleur vu que son petit orteil droit avait violemment percuté − pour de vrai − l’étagère à gauche du lit.
Comme quoi il faut prendre ses rêves pour des réalités. Mais avec précaution.
*
Sinon la pauv’ Gaïa tourne toujours sur elle-même en vingt-quatre heures, quelque part dans l’univers. Ici on a renfilé les grosses chaussettes et au petit matin on se les pèle. Comme pigeons sur toitures. Les calottes polaires fondent à toute vitesse et le froid dégagé nous tombe sur le râble. Alors on rentre la tête entre les épaules et on se serre les ailes. Au loin, sur les réseaux sociaux, des hurlements se font entendre : cris de douleur ou de désespoir, hurlements de fous furieux, allez savoir. Et quelques éclats de rire parfois encore. De plus en plus rarement. Car sous les calottes crâniennes aussi, la fonte bat son plein. Le rêve évaporé y a fait place à l’angoisse et à la démence. Comme c’est dommage.
…e la nave va…
LA FONTE DES CALOTTES
L’espoir est un luxe bourgeois, comme je dis souvent. Le rêve, lui, tient animé tout un chacun sans tenir compte des revenus. Le songe est l’ennemi juré du calculateur. Qui, lui, a de l’espoir à revendre. À prix d’or.
Et là, alors que je venais d’écrire les trucs juste au dessus, Dan débarque à la maison. Des années qu’on ne l’avait plus vu. Exit ma petite séance d’écritoire. Le billet attendra, un point c’est tout. Cas de force majeure. Je grommelle un peu tout de même, intérieurement. Pour écrire un billet, il faut que je sois dans un état presque second. Dans le rêve en quelque sorte. Et comme ce billet parle des rêves et des autres choses bizarres qui nous passent par la tête par moments, avec Dan qui déboule à l’improviste c’est foutu. Dan, il est de Bruxelles et ses beaux parents avaient acheté une antique bicoque à deux pas de la nôtre il y a une vingtaine d’années. On en avait fait un paquet, des banquets animés chez eux autrefois, car Dan est un fameux boute-en-train. Avec la marmaille du quartier, des voisins et compagnie. Et puis un jour on ne les avait plus vus. Et appris la mort du beau-père, puis l’Alzheimer grave de son épouse. La maison est abandonnée depuis une bonne douzaine d’années et comme il y a des fuites un peu partout, Dan est revenu pour faire quelques travaux. Là, à l’instant (18 Septembre, 10 heures du matin), Dan vient de sonner à la porte pour me taxer un double mètre. Alors donc hier après-midi, on a papoté un long moment et il nous a donné tout plein de nouvelles de son clan et nous, pareil en échange. Et là, je vois son petit orteil droit tout bleu, dépasser de sa sandale. Je le lui pointe du doigt et Dan nous raconte comment ça lui est arrivé. La magie ça existe pour de vrai, je dois dire, parce que tout ça c’est à cause du rêve que Dan avait fait la veille. Comme par hasard. Pendant son sommeil il avait vu deux types tenter d’agresser sa femme, alors il n’avait fait ni une ni deux et s’imaginant en Superman justicier, leur avait volé dans les plumes et balancé un gros coup de pied au cul. Et là, il s’était réveillé en hurlant de douleur vu que son petit orteil droit avait violemment percuté − pour de vrai − l’étagère à gauche du lit.
Comme quoi il faut prendre ses rêves pour des réalités. Mais avec précaution.
*
Sinon la pauv’ Gaïa tourne toujours sur elle-même en vingt-quatre heures, quelque part dans l’univers. Ici on a renfilé les grosses chaussettes et au petit matin on se les pèle. Comme pigeons sur toitures. Les calottes polaires fondent à toute vitesse et le froid dégagé nous tombe sur le râble. Alors on rentre la tête entre les épaules et on se serre les ailes. Au loin, sur les réseaux sociaux, des hurlements se font entendre : cris de douleur ou de désespoir, hurlements de fous furieux, allez savoir. Et quelques éclats de rire parfois encore. De plus en plus rarement. Car sous les calottes crâniennes aussi, la fonte bat son plein. Le rêve évaporé y a fait place à l’angoisse et à la démence. Comme c’est dommage.
…e la nave va…